Chroniques de la Byrsa: L’art d’assassiner la poule aux œufs d’or (II)

Aussi loin que peut remonter la mémoire des plus anciens parmi nous, l’évocation de La Goulette est associée à l’idée de joie de vivre, celle de ses habitants et celle de ses visiteurs. C’est un phénomène sociologique qui mêle facteurs humains, géographiques et économiques. La composition de sa population qui, pendant une très longue période historique, a fait cohabiter dans une symbiose totale Arabes, juifs et Européens et l’a parée des couleurs de la Méditerranée ; son économie essentiellement tournée vers une mer dont l’horizon dépassait rarement le golfe de Tunis ; sa proximité, enfin, de la capitale dont elle n’est guère éloignée que d’une dizaine de kilomètres, tout cela lui a conféré une attractivité incomparable et de très longue date. Principalement en période estivale.
Les chroniqueurs étrangers des temps passés qui ont séjourné plus ou moins longtemps dans notre pays, surtout ceux du XIX° siècle et des débuts du siècle suivant, décrivent la migration à partir de Tunis de cohortes d’estivants dans des cortèges pittoresques d’arabas surchargés d’effets et de familles pour se rendre à La Goulette au début de la saison d’été et y camper durant un séjour plus ou moins long. Les temps ont certes changé. La composition démographique et le genre de vie aussi. Mais l’engouement est resté intact. Il s’est même accentué grâce à la mobilité accrue de la population aujourd’hui largement motorisée. Et si le séjour en villégiature, lui, s’est rétréci pour cause de profonds changements dans le mode d’organisation du travail en régime du salariat, il s’est par contre étendu sur toute l’année sous forme de visites répétées pour ainsi dire tout le long de n’année. D’où l’explosion de l’«industrie» touristique qui, hélas ! se résume ici en l’hébergement et la restauration dans toutes ses déclinaisons.
La plage légendaire de La Goulette n’est pratiquement plus qu’un vague souvenir
En termes de bonne gouvernance locale, cette évolution aurait dû être anticipée et planifiée en vue de préserver la recette magique de l’attractivité de la localité et en tirer un surplus de prestige et d’avantages. Au lieu de quoi, on a assisté à une croissance sauvage dans tous les sens du mot. Pour des raisons qu’il faudra bien un jour élucider, l’administration locale a autorisé l’érection d’immeubles accolés à La Karaka, cette forteresse dont la fondation remonte à la prime époque arabe en Tunisie et qui a été réaménagée par les Espagnols de Charles Quint au XVI° siècle. Côté ville, ces immeubles ont altéré la majesté du monument ; côté mer, ils ont accéléré la dégradation du rivage en empêchant la libre circulation du vent qui, tournoyant sur lui-même à cause de ces obstacles, a accéléré l’érosion de la plage. Ce phénomène s’est étendu à tout le ruban côtier de la localité avec la multiplication des constructions en hauteur pour satisfaire l’insatiable appétit des spéculateurs et les manœuvres frauduleuses de l’administration locale. La plage légendaire de La Goulette n’est pratiquement plus qu’un vague souvenir piteusement ravivé par l’aménagement de digues parfaitement inesthétiques et, de surcroît, médiocrement entretenues.
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