Business News décide le boycott des législatives : le pourquoi du comment

Suite à un vote du comité élargi de sa rédaction, Business News décide de boycotter les législatives 2022. Décision lourde de sens, prise après une mure réflexion, et que nous expliquons ici à nos lecteurs.
Le débat était très animé lundi 21 novembre au cours de la réunion hebdomadaire du comité élargi de la rédaction. Ce comité élargi comprend l’ensemble des journalistes de Business News et Business News Arabe, c’est-à-dire les rédacteurs, les vidéastes, les modératrices des commentaires et les community managers.
À l’ordre du jour, la couverture des élections législatives qui auront lieu le 17 décembre. Le timing est calculé puisque la campagne électorale démarre ce vendredi 25 novembre 2022.
Il fallait décider si le journal allait couvrir ou pas ces législatives. Chacun des membres devait donner une réponse motivée. La décision finale revenait au comité de la rédaction, comprenant le directeur de la rédaction et les trois rédacteurs en chef. Celui-ci devait prendre en considération le vote des journalistes, les contraintes légales, le pouls politique et le droit fondamental des lecteurs du journal.
Au cours de cette réunion du lundi, les journalistes étaient divisés. Idem pour les rédacteurs en chef.
Ceux qui sont pour la couverture ont avancé pour principal argument le droit des lecteurs à une information indépendante. Ils soulignent le devoir professionnel et moral du journaliste d’informer le public de ce qui l’intéresse. Ils rappellent comment Business News a couvert les élections depuis 2011, comment le journal a relevé les multiples infractions des différents candidats, les contrevérités et les absurdités contenues dans plusieurs programmes, les clowneries des uns et le bon sens des autres. À chacune de ces élections, le maître mot du journal était de défendre les programmes appelant à une Tunisie républicaine, laïque et progressiste.
Les arguments des journalistes opposés à la couverture des élections ne sont pas moins sensés. On relève tout d’abord la nouvelle législation et le fameux décret-loi 54 liberticide du 13 septembre 2022. La critique de n’importe quel candidat ou de l’Isie expose le journaliste à des peines variant de cinq à dix ans de prison. Ce décret-loi empêche désormais les journalistes de faire leur travail correctement dans des conditions ordinaires. Remettre en doute la neutralité de l’Isie ou ses résultats nous expose aux mêmes peines. Au vu du déroulement du référendum du 25 juillet et au vu des décisions arbitraires de l’Isie prises ces dernières semaines, il est évident pour nous que les législatives 2022 ne vont pas se dérouler dans des conditions ordinaires et qu’elles ne vont pas du tout se caractériser par la transparence et l’intégrité requises.
Parmi les décisions arbitraires de l’Isie qui empêchent le travail ordinaire des journalistes, on note l’interdiction de diffuser des sondages « sorties des urnes » ou encore l’auto-octroi des prérogatives de la Haica, c’est-à-dire du contrôle des médias. Une décision contraire aux dispositions du décret-loi 116, abusive et aberrante quand on sait que l’Isie n’a ni le savoir, ni les moyens humains et matériels de contrôle de ce que diffusent les médias.
Quand bien même les journalistes de Business News décident de passer outre les intimidations judiciaires et d’affronter courageusement le décret-loi 54 et les décisions de l’Isie, il est techniquement impossible d’observer la neutralité obligatoire à l’égard des 1058 candidats. Lequel des candidats va-t-on relayer les propos ou interviewer ? Sur qui on va faire l’impasse et pourquoi ? Quelles régions allons-nous couvrir ? À-t-on le droit de moquer l’un et pas l’autre. Et les candidates ? Méritent-elles une couverture spéciale, elles qui sont extraordinairement sous-représentées dans ces législatives. Pour rappel, il n’y a que 122 femmes dans ces législatives.
Non seulement le décret-loi 54 est liberticide et dangereux, mais le code électoral lui-même ainsi que les décisions arbitraires de l’Isie empêchent une couverture conforme aux normes professionnelles et à la déontologie.
Passage au vote, la majorité des présents vote le boycott. Personne ne crie victoire, nous étions dépités à 100%. La décision finale revient cependant au directeur de la rédaction et aux trois rédacteurs en chef qui se donnent quatre jours de réflexion supplémentaires.
Ces quatre jours étaient utiles, car entre-temps le Syndicat des journalistes a réagi pour rejeter les décisions de l’Isie. Idem pour la Haica.
Malgré la polémique, l’Isie a continué à jour cavalier seul envoyant balader la corporation et l’autorité légale de contrôle. En bafouant les prérogatives de la Haica et en violant les droits des journalistes, l’Isie envoie un message clair à tous les Tunisiens : « Je vais faire ce que je veux de ces élections ».
En prenant en considération l’ensemble de ces éléments, convaincus que ces élections seront entachées d’irrégularités multiples, voire de fraudes, constatant que le travail journalistique n’est plus protégé par la loi, le comité de rédaction de Business News a fini par décider de boycotter les législatives 2022. L’Isie et le régime de Kaïs Saïed veulent convaincre la population que ces élections sont transparentes et démocratiques, grand bien leur fasse. Nous ne pouvons ni les démentir, ni écrire et démontrer que ça va être une mascarade électorale. On en prend acte.
Il reste néanmoins un point fondamental à résoudre. Que faire du lecteur qui a droit à l’information officielle et comment attirer son attention de l’hypothétique manipulation grotesque du régime ? Après réflexion, il a été décidé de relayer toute information officielle relative aux législatives (notamment les décisions de l’Isie, les résultats…), mais celles-ci seront toutes estampillées par le mot « propagande ».
Techniquement, le mot signifie « Action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social » (Larousse).
Théoriquement, le lecteur avisé devrait observer un scepticisme par rapport à cette information officielle, non cautionnée par le journal qui la diffuse.
Il s’agit là d’une position militante de Business News par rapport à ce qu’il considère comme étant une mascarade électorale. Nous refusons d’être les complices de ce que nous pensons être un processus biaisé. Nous espérons, vivement, la compréhension de nos lecteurs quant à cette position.
La rédaction
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