Akrem Belhaj, DG de la Fncc : « Le secteur du cuir ne connaît pas le chômage, mais les centres sont vides »
Dans un contexte économique de plus en plus incertain, le secteur du cuir et de la chaussure en Tunisie fait face à des défis majeurs, notamment le manque de candidats pour les formations proposées dans ce domaine. Akrem Belhaj, Directeur Général de la Fédération nationale du cuir et de la chaussure (Fncc), nous explique les raisons de cette situation, les initiatives mises en place pour attirer les jeunes vers ces métiers, et les mesures nécessaires pour protéger et relancer cette industrie emblématique.
Le secteur du cuir et de la chaussure traverse une période difficile. Vous avez mentionné que, malgré l’absence de chômage dans ce secteur, les centres de formation sont vides. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
C’est effectivement un paradoxe préoccupant. Bien qu’il n’y ait pas de chômage dans notre secteur, les jeunes semblent éviter les formations qui pourraient leur ouvrir les portes de ces métiers.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, la perception que les jeunes ont de notre secteur ne correspond pas aux réalités du marché. Il y a un manque de communication sur les opportunités d’emploi et la valorisation des métiers liés au cuir et à la chaussure. Autre facteur, l’instabilité politique qui a suivi la révolution a perturbé le dialogue entre les acteurs du secteur et les autorités, ce qui a eu un impact négatif sur nos efforts de sensibilisation.
Pour faire face à cette situation, nous avons déjà commencé à prendre des mesures concrètes. Nous organisons des caravanes de formation dans les régions pour aller directement vers les jeunes qui, pour diverses raisons, ne peuvent pas accéder aux centres traditionnels. Nous mettons également en avant des success stories de jeunes ayant réussi à se faire une carrière dans notre secteur. Cependant, nous devons encore travailler sur la communication et la sensibilisation. Les jeunes ont besoin de voir des exemples concrets de réussite pour être motivés à s’inscrire.
Vous parlez de communication et de valorisation des métiers. Comment cela se traduit-il concrètement dans vos démarches avec le ministère et les entreprises ?
Nous avons engagé un dialogue avec le ministère pour travailler sur la valorisation des diplômes obtenus dans nos centres de formation. Nous souhaitons que ces qualifications soient reconnues par les entreprises et que les jeunes soient motivés à acquérir des compétences pertinentes pour le marché.
Cela passe aussi par des partenariats avec les entreprises pour offrir des stages et des formations en alternance, ce qui est essentiel pour allier théorie et pratique. En même temps, nous voulons que les entreprises s’engagent à recruter ces jeunes formés, ce qui créerait un cercle vertueux.
Vous avez mentionné l’impact de l’e-commerce sur le secteur. Quelles sont vos réflexions à ce sujet, et comment le secteur du cuir s’adapte-t-il à ces nouvelles réalités ?
L’e-commerce a indéniablement transformé le paysage commercial, et notre secteur ne fait pas exception. La vente en ligne offre des opportunités, mais elle pose aussi des défis. En effet, beaucoup de produits étrangers, souvent de qualité inférieure, inondent le marché en ligne, et cela crée une concurrence déloyale pour nos producteurs.
Nous devons nous assurer que nos artisans et entreprises s’adaptent à cette nouvelle réalité en proposant des produits de qualité qui peuvent rivaliser sur les plateformes en ligne. Cela inclut le développement de stratégies marketing adaptées et l’amélioration de la présence de nos produits sur les sites de vente en ligne.
Avec l’augmentation des produits étrangers sur le marché, comment envisagez-vous la protection de l’industrie tunisienne du cuir et de la chaussure ?
Protéger notre industrie est essentiel. Nous avons besoin de lois strictes pour contrôler les produits importés et garantir que seuls les produits conformes à nos normes de qualité puissent être commercialisés. Nous avons déjà proposé des réformes au ministère pour renforcer le contrôle technique des produits sur le marché.
De plus, nous devons sensibiliser le consommateur tunisien à l’importance d’acheter local. La promotion des produits tunisiens doit devenir une priorité, car cela soutiendra non seulement notre économie, mais aussi nos artisans et notre savoir-faire.
Vous évoquez la nécessité d’un environnement favorable pour les entreprises. Quels autres soutiens attendez-vous de l’État pour relancer le secteur ?
L’État doit s’engager à créer un cadre réglementaire qui favorise l’investissement et l’innovation dans le secteur. Cela inclut un meilleur accès au financement pour les entreprises, notamment pour celles qui souhaitent moderniser leurs équipements ou diversifier leurs produits.
En outre, il est crucial d’encourager la recherche et le développement pour nous permettre de rester compétitifs face à la concurrence internationale. Une coopération plus étroite entre le secteur privé et les institutions de formation est également nécessaire pour s’assurer que les formations proposées correspondent aux besoins réels des entreprises.
En conclusion, quelles sont vos priorités pour le secteur ?
Nous avons trois priorités. Premièrement, nous devons renforcer l’application des lois pour protéger l’industrie tunisienne, notamment en ce qui concerne les produits importés. Deuxièmement, il est impératif de rétablir le financement des institutions de formation afin d’améliorer la qualité des formations offertes. Enfin, et c’est peut-être le plus important, nous devons travailler sur la sensibilisation des jeunes et valoriser les métiers du cuir et de la chaussure pour les inciter à se former.
Si nous réussissons sur ces trois fronts, je suis convaincu que notre secteur pourra retrouver une dynamique positive et durable.
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