30 ans d’accord d’association entre la Tunisie et l’Union Européenne : Un partenariat à repenser ?

Toujours en vigueur, l’Accord d’association avec l’Union européenne fête cette année ses 30 ans. Après trois décennies de relations stratégiques et économiques, l’heure est au bilan. Soupeser ses forces et ses faiblesses est aujourd’hui une entreprise nécessaire, dans un contexte mondial en pleine mouvance. C’est d’ailleurs la tâche à laquelle se sont attelés les participants à la 27e édition du Forum international de «Réalités», qui s’est tenue cette année sous le thème : “30 ans après, quelle vision et quelle stratégie pour les relations Tunisie-UE ?”
La Presse — Ouvrant les travaux du séminaire, le président du forum, Taïeb Zahar, est revenu sur la genèse de l’Accord d’association avec l’Union européenne, signé en juillet 1995. Un accord qui, selon ses dires, est venu prolonger des conventions et partenariats antérieurs pour constituer un levier important de l’intégration économique de la Tunisie avec l’Europe. Les retombées sont, selon lui, positives sur l’économie, avec des réformes structurelles. Pour Zahar, ces trente années ont été riches en coopération, en dialogues et en projets partagés, mais elles suscitent aujourd’hui des remises en question et des attentes renouvelées.
Un partenariat structurant
Dans ce contexte, le président du forum a rappelé que la Tunisie a été le premier pays du Sud de la Méditerranée à initier une telle démarche, marquant de ce fait un acte politique fort, témoignant de la volonté du pays de s’ancrer durablement dans l’espace euro-méditerranéen, dans une logique de partenariat structuré et progressif.
“Cet accord incarnait l’espoir d’un rapprochement stratégique, fondé sur une vision partagée de stabilité, de prospérité et de coopération durable. Il a, de fait, marqué une étape historique dans les relations euro-méditerranéennes et, plus encore, dans le partenariat stratégique entre notre pays et l’Union européenne, jetant les bases d’un dialogue politique constant, d’un partenariat économique structurant et d’un engagement mutuel pour la paix, la stabilité et la prospérité partagée”, a-t-il ajouté. Soulignant que cet accord a offert un cadre de dialogue politique régulier et permis l’ancrage de la Tunisie dans une dynamique de modernisation économique soutenue par l’UE, Zahar a toutefois rappelé les défis rencontrés au cours de ces trois décennies.
Entre crises économiques, instabilités régionales et mutations politiques, cet accord — a-t-il affirmé — n’a pas toujours été perçu comme pleinement équilibré. D’après lui, l’asymétrie structurelle représentait un défi majeur, d’autant que les mesures d’accompagnement n’étaient parfois pas au rythme des efforts d’ouverture consentis par la Tunisie. “Dans certains domaines sensibles — comme la mobilité des personnes ou la gestion des flux migratoires — les enjeux ont été trop souvent abordés à travers le seul prisme sécuritaire, au détriment d’une approche globale, humaine et concertée”, a-t-il ajouté.
Une asymétrie qui a lourdement pesé sur la partie tunisienne
Pour Zahar, revenir aujourd’hui sur les limites de cet accord constitue un point de départ pour mieux le réinventer. “En somme, si cet accord a permis de structurer une relation stratégique, il est temps d’en reconnaître les limites, non pour le désavouer, mais pour mieux le réinventer. […] Faire le bilan de ce partenariat, mais surtout en esquisser les contours d’une version repensée, plus équitable, mieux adaptée aux réalités d’aujourd’hui et résolument tournée vers l’avenir”, a-t-il insisté.
Selon lui, si cet accord a pu prendre de la consistance en raison de la proximité avec l’Union européenne — qui représente non seulement le principal marché d’exportation, mais aussi le premier investisseur étranger en Tunisie et principal bailleur de fonds dans le cadre des programmes de coopération bilatérale — sa forme actuelle révèle certaines limites, notamment une asymétrie commerciale persistante. Il a ajouté qu’aujourd’hui, ce partenariat doit se projeter vers l’avenir, dans un contexte géopolitique mondial où prévalent les défis environnementaux, les enjeux de la transition énergétique, de l’inclusion sociale, de la digitalisation, les aspirations des jeunesses des deux rives et les fractures sociales croissantes. Zahar a souligné qu’une logique de codéveloppement productif et un engagement fort pour lutter contre les inégalités doivent aujourd’hui primer sur la seule logique de l’ouverture commerciale.“Dans un monde multipolaire, marqué par l’instabilité et la recomposition des alliances, la relation Tunisie–UE doit reposer sur le respect mutuel, la souveraineté et la coresponsabilité”, a-t-il précisé. Et d’ajouter : “La Tunisie n’est pas seulement un voisin. Elle est un acteur stratégique, porteur d’une vision, d’un héritage et d’une ambition méditerranéenne légitime.” Évoquant la question de la migration, l’intervenant a souligné qu’elle ne doit plus être considérée comme une menace, mais plutôt comme une réalité humaine, économique et sociale qu’il faut accompagner, organiser et insérer dans un cadre coopératif gagnant-gagnant. Il a ajouté, en somme, qu’il est désormais question d’un partenariat symétrique et solidaire, à la hauteur des défis du siècle, capable d’incarner les valeurs que la Tunisie et l’Union européenne partagent, en l’occurrence la dignité, la liberté, la justice sociale et le respect mutuel.
Giuseppe Perrone : “L’Union européenne croit au futur de la Tunisie et en son potentiel”
Prenant la parole, l’ambassadeur de l’Union européenne, Giuseppe Perrone, a défendu un bilan positif de l’accord en faveur de la Tunisie. Il a ainsi affirmé que la Tunisie affiche une balance excédentaire avec l’Union européenne, son premier partenaire commercial et d’investissement. Il a estimé qu’au cours de ces 30 dernières années, l’industrie tunisienne a pu se développer et se consolider grâce à une intégration croissante avec la chaîne de valeur européenne. Pour lui, ce bilan, qu’il qualifie de tout à fait positif, réfute l’idée d’une asymétrie en défaveur de la Tunisie, affirmant qu’elle est le premier pays de la région à avoir bénéficié le plus du soutien de l’UE.
“Il y a toujours eu une aide spéciale de la part de l’Union européenne pour la Tunisie. Ceci témoigne de l’importance stratégique que revêt la Tunisie pour l’Union européenne”, a-t-il précisé. Soulignant les changements et les bouleversements qui secouent aujourd’hui le monde, l’ambassadeur a mis l’accent sur le rôle joué par l’Union européenne en tant que partenaire crédible, responsable et fiable. Il a affirmé qu’elle demeure, dans ce contexte, un partisan infatigable du libre-échange, luttant contre les barrières commerciales. En témoigne, selon lui, la nouvelle réglementation sur les règles d’origine préférentielles, appliquée à la Tunisie depuis mars dernier, qui devrait permettre un meilleur accès des produits industriels tunisiens transformés au marché européen.
Selon l’ambassadeur, le multilatéralisme est également une valeur partagée entre la Tunisie et l’Union européenne. Il a ajouté que, du fait de la proximité géographique, la mobilité circulaire peut être un modèle gagnant-gagnant, intégré à une vision globale de la migration, qui n’est pas réduite au seul volet sécuritaire. “C’est un modèle qui permet aux jeunes Tunisiens de se rendre en Europe, de revenir en Tunisie, d’acquérir des compétences nouvelles, et, par ce biais, de contribuer à la croissance durable de leur pays. Et c’est cela que nous voulons développer de plus en plus dans les 30 ans qui viennent”, a-t-il ajouté.
Un partenariat tourné vers l’avenir ?
Il a souligné qu’au-delà de la profitabilité pour les deux parties, la coopération entre la Tunisie et l’Union européenne s’inscrit dans une vision de long terme pour le développement du pays. “Ce n’était jamais une vision imposée de l’extérieur, mais une vision partagée, développée par les autorités tunisiennes, à laquelle l’Union européenne a choisi de contribuer parce qu’elle croit au futur de la Tunisie et en son potentiel”, a-t-il précisé. S’agissant du futur de cet accord, M. Perrone a indiqué qu’il est appelé à se moderniser et à se renouveler.
Comment et avec quelles ambitions ? L’ambassadeur a expliqué que le débat est en cours, mais que des facteurs essentiels comme l’intelligence artificielle et l’économie numérique s’imposent aujourd’hui. “Il y a un engagement de notre part pour faire en sorte que notre partenariat avec la Tunisie soit complet et renforcé pour les 30 années à venir. Je suis d’avis que c’est un partenariat dans l’intérêt de la Tunisie et, bien sûr, de l’Union européenne. Car pour l’Union européenne, la Tunisie a toujours eu un rôle pionnier. C’est donc dans l’intérêt de l’Union européenne de développer ce partenariat, pour ce que la Tunisie représente, y compris vis-à-vis des autres pays de la région. […] Je suis convaincu que le partenariat avec l’Union européenne répond à des intérêts structurels”, a-t-il conclu.
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